Sommeil et médecine générale

"Dormir peu, dormir mieux, vivre mieux."

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Insuffisance de sommeil

"No Minute Gone Comes Ever Back Again, Take Heed And See Ye Nothing Do in Vain"
"Chaque minute qui passe ne revient jamais, prenez bien garde à ne rien entreprendre en vain" (Proverbe Anglais)

mardi 22 août 2006, par guilhem

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La somnolence menace !
Mon copilote doit faire le guet !

Selon une enquête de la TNS Sofres de 2006 pour l’Institut du Sommeil et de la Vigilance, "27% des Français sont gênés par un problème de somnolence, et un adulte sur dix, un adolescent sur cinq serait en manque chronique de sommeil".


La première cause de somnolence diurne excessive (SDE) est souvent la moins recherchée lors des études d’accidentologie [1] : C’est le manque chronique de sommeil.
Le sujet, qui a pourtant un sommeil de bonne qualité, n’arrive pas à s’adapter aux impératifs sociaux, familiaux et professionnels qui s’imposent à lui.
Une récente étude de l’Inserm publiée dans le British Medical Journal du 17 Juin 2006 conclut d’autre part que chaque année en France, au moins un millier de morts évitables seraient dues à la somnolence au volant.
Mais selon les chercheurs, "le risque n’est pas le seul fait des gens atteints de pathologies du sommeil, c’est bien le manque de sommeil ordinaire qui conduit la plupart du temps à l’accident".

Il s’agit bien, ici, d’un trouble adaptatif chronique car le déficit occasionnel de sommeil se compense, lui, très rapidement, grâce à la puissance du sommeil de rebond la nuit suivante ou lors d’une sieste. Ici le sujet souffre en permanence d’une envie de dormir (pression de sommeil) qu’il combat souvent par une agitation comportementale incessante associée à une consommation .
Toutes les études montrent que la privation de sommeil conduit à une baisse des performances intellectuelles, émotionnelles et physiques.

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Danger ! ...
Trop tard !


À long terme, on observe une recrudescence des maladies métaboliques, cardio-vasculaires et dégénérative. La privation chronique de sommeil est corrélée avec l’espérance de vie.
Les connaissances récentes sur les nouveaux neurotransmetteurs (comme le système des endocannabinoïdes, l’orexine ou la vasopressine), permettent chaque jour de mieux comprendre les conséquences de la privation de sommeil sur des fonctions aussi variées que l’appétit, l’immunité, la douleur et le caractère [2].
Voir l’article "Les fonctions du sommeil".

Mais la toute première conséquence du manque de sommeil est, de loin, le risque d’accident lié à la somnolence excessive.

  • Privation volontaire de sommeil.
  • On a pu mesurer que la durée moyenne du sommeil a baissé de plus d’une heure en un siècle.
    Nos grands parents ont grandi dans un monde où l’on se couchait nettement plus tôt.

    La durée moyenne du sommeil serait ainsi passée de 8h30 à 7h30.

    De plus en plus d’individus puisent sur leur temps de sommeil car le choix d’activités praticables la nuit ne cesse de s’élargir.

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    "Nous ne dormons jamais"

    La télévision, les jeux vidéos, internet, et le travail à domicile sont les principales raisons de retarder l’heure du coucher dans les sociétés modernes.

    Les conditions de repos (le bruit, la température, l’éclairage, la qualité de l’environnement), sont à prendre en compte pour évaluer et prévenir le risque de somnolence diurne excessive.
    Il apparaît clairement que les enfants et les adolescents sont le groupe d’âge le plus exposé au déficit de sommeil.

    Les études sont concordantes pour démontrer l’impact très négatif de la privation de sommeil sur la mémoire et, plus récemment, sur le comportement social ou l’équilibre alimentaire.

    Une parfaite maîtrise de son sommeil est un des enjeux du monde moderne ...

    Pour mémoire, le manque de sommeil a été mise en cause lors des quatre plus importantes catastrophes industrielles du 20° siècle :

    • La plus mortelle : 1984 catastrophe de Bhopal [3] ;
    • La plus médiatisée en direct sur toutes les télévisons du monde : l’explosion de la navette spaciale Challenger en 1986 [4] ;
    • La plus polluante pour l’environnement : accident de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986, qui est l’exemple typique d’un accident survenu la nuit, certes dû à série d’erreur humaine, mais très probablement aggravé par des décisions inadaptées très probablement liées au manque de sommeil ;
    • La plus coûteuse en dédommagement pour marrée noire : le naufrage L’Exxon Valdez en 1989 qui entraina des modifications significatives de la législation maritime internationale sur les temps de repos obligatoires, tant à bord, que pour le personnel du centre de contrôle du trafic maritime à terre. [5] .

    Une cause importante de somnolence par privation "volontaire" de sommeil concerne essentiellement les travailleurs de nuit ou postés qui n’ont pas la capacité de compenser leurs dettes de sommeil par un sommeil diurne de bonne qualité. C’est particulièrement le cas des sujets « du matin » qui sont plus vulnérables au travail nocturne.
    Inversement, les sujets "du soir" sont assez pénalisés par les horaires de travail matinaux.
    Il a été démontré, par exemple, qu’ils se mettent en danger de somnolence au volant lorsqu’ils suivent de trop près les conseils de "Bison Futé" qui préconise de se lever très tôt pour prendre la route.

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    "Le rythme plasmatique de la mélatonine est un marqueur de l’horloge circadienne" (DIU Pathologies du sommeil 2007 - Claustrat B

  • Syndromes de décalage de phase du sommeil.
  • Ici, le sujet dormirait d’un sommeil satisfaisant s’il pouvait dissocier son cycle veille/sommeil des rythmes sociaux, mais Il est handicapé par rapport aux rythmes de la société.
    Lorsque c’est le moment de dormir il souffre d’insomnie, lorsque c’est le moment d’être actif, il souffre de somnolence excessive.
    Il y a plusieurs types de décalage de phase.

    • Le plus fréquent est le syndrome de retard de phase. Le sujet souffre d’insomnie d’endormissement le soir, aux horaires « normaux », mais va pouvoir s’endormir très profondément en fin de nuit.
      Pour ce type de personne, le réveille-matin est un véritable « instrument de torture » car la dette de sommeil est très importante lorsqu’il doit se lever après quelques heures de sommeil.
      La pratique intempestive de la sieste (Cf.) ou de la "grasse matinée" exerce souvent un effet aggravant sur l’insomnie du soir.

      Les études de typologie du sommeil mettent en évidence le caractère « vespéral extrême » de ces dormeurs (souvent plutôt longs dormeurs).
      L’interrogatoire des travailleurs de nuit (volontaires) met en évidence des caractéristiques analogues avec une bonne adaptation au sommeil de jour.

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      (http://sommeil.univ-lyon1.fr/)

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    • Plus rare mais bien décrit dans les publications médicales : le syndrome d’avance de phase (SAP).
      En miroir par rapport au précédent, le sujet souffre de SDE dès les premières heures du soir et se couche « comme une poule » vers 19h ou 20h pour, finalement, se réveiller trop précocement.
      NB. La mutation d’une partie du gène qui programme l’horloge biologique a été mise en évidence dans un forme particulière d’avance du sommeil : le "Syndrome d’avance de phase familial".
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      Une mutation génétique (autosomiale dominante) dans le "syndrome d’avance de phase familial"


      « Le SAPF est une perturbation autosomique dominante du rythme circadien. Les sujets atteints, sont "très matinaux" avec une avance de phase de 4 heures du rythme de sommeil, de la température et de la mélatonine. (...) Certaines perturbations du rythme circadien peuvent donc être imputables à une mutation du génétique (affectant le gène hPer2 qui est très proche de celui que l’on connait chez la mouche drosophile). »

      Une avance de phase comportementale (coucher trop précoce par ennui +++) se rencontre parfois à l’interrogatoire de sujets qui souffrent d’insomnie dite "de maintien", parce que la personne qui s’endort trop tôt n’arrive pas à rester endormie très longtemps.
      De trop nombreux sujets âgés sont ainsi traités, à tort, pour insomnie parce qu’ils se réveillent dès le milieu de la nuit. L’effet résiduel des somnifères est très néfaste dans ce type de situation.

    • Le syndrome hyper-nycthéméral est décrit comme la faculté de dormir sur un rythme supérieur à 24 heures (nycthémère ).
      Les expériences d’isolation à l’abri des « donneurs de temps » ont montré qu’un tiers des sujets seulement peuvent ainsi se décaler par rapport à leurs horloges internes (qui, elles, continuent de tourner sur 24h).
      Lorsque le sujet a dormi suffisamment une nuit, il ne ressent pas le besoin de dormir le soir suivant et retarde son coucher.
      S’il doit se réveiller "normalement" à 7h le lendemain matin, il devra "raccourcir sa nuit" et constituer une dette de sommeil. Il se produira un "rebond" de sommeil au travers d’une sieste trop longue.
      Ce type de sommeil compensateur est très puissant et risque d’être le point de départ d’un véritable cercle vicieux. Le sujet n’a plus sommeil le soir à cause de sa sieste trop longue et se lève le lendemain avec une dette de sommeil.

      Ce cercle vicieux conduit peu à peu à une perturbation chronobiologique des balanciers du sommeil. La décompensation survient à l’occasion d’un surcroit de fatigue par une plainte d’insomnie.
      Les somnifères ont, ici encore, une action masquante qui aggrave considérablement la situation si le sujet n’arrive pas à comprendre qu’ils doit se lever tôt pour inverser le processus.

      À un stade plus précoce de la désynchronisation, on observe l’apparition de multiples troubles fonctionnels.


Conclusions

  • La somnolence est beaucoup plus dangereuse que la fatigue...

    Cf. l’avis des spécialistes de la sécurité routière : "Le conducteur fatigué doit faire une pause toutes les deux heures, se dégourdir les jambes, discuter, et il peut repartir... Pour le conducteur qui se sent somnolent, il n’existe qu’un moyen de se reposer : le sommeil" (Dr Pierre Phillips).

    Attention à ne pas trop confondre la "récréation" qu’est la pause recommandée toutes les deux heures à cause de la fatigue de la conduite...
    Et ...
    le besoin de sieste de celui qui a sommeil et qui par définition, ne doit surtout pas conduire !
    De notre point de vue (de somnologue et urgentiste), avoir besoin de dormir lorsqu’on est au volant est simplement criminel !

      Le rôle respectif des prédispositions génétiques individuelles (du terrain), d’un côté, et des horaires et habitudes de vie atypiques, de l’autre, est souvent mal défini dans la problématique de la somnolence par privation de sommeil.
    • Les adolescents trouvent du plaisir et un sentiment de liberté à rester seuls éveillés durant la nuit ...
    • On rapporte le cas d’un écrivain New-yorkais qui vivait paraît-il ainsi sans problème sur un rythme veille-sommeil de 30 heures au lieu de 24 ...
    • Certains travailleurs de nuit aiment à travailler dans des ambiances nocturne qu’ils trouvent plus calmes que dans la journée ...
  • On s’accorde à penser que chaque sujet adapte inconsciemment son choix de vie à ses performances somnologiques (et non l’inverse).
    En d’autres termes, on peut choisir de travailler en horaire atypique , mais on ne choisit pas de pouvoir s’y adapter.
    (Il est alors impératif de bien connaître les mécanismes de la régulation chronobiologique du sommeil).
    La tolérance du sujet dépendra des performances de son sommeil de récupération. Il semble exister chez certaines personnes de véritables contre-indications chrono-biologiques au travail de nuit.
    Voir l’article "Un outils pour déterminer son chronotype" comment estimer la "taille" de son propre sommeil.
  • "À chacun son sommeil, à chacun son info".

    Un bon dormeur se couche en confiance, se réveille en forme ... et ne doit pas somnoler dans la journée...
    Et encore moins au volant d’un véhicule !

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    Un message trop ambigu !

NB. Lire aussi l’article du site : "Somnolence diurne excessive.


[1le Fichier BAAC : bulletin d’analyse d’accidents corporels de la sécurité routière ne fait pas mention de la notion de somnolence avant ou pendant l’accident

[2En 2008, pas moins de 14% des Américains déclare avoir manqué, dans le mois écoulé, une réunion de famille, un rendez-vous professionnel, ou un loisir important par manque de sommeil.
Lire aussi :"Somnolence diurne excessive.

[3Catastrophe de Bhopal, nuit 2 au lundi 3 décembre1984 (source Wikipédia) :
23 h 00 - Un contrôleur note que la pression du réservoir 610 est de 10 psi, soit cinq fois plus qu’à peine une heure auparavant. Habitué aux dysfonctionnements d’appareils de contrôle, il n’en tient pas compte. Des employés ressentent des picotements des yeux et signalent aussi une petite fuite de MIC près de ce réservoir. De tels faits étant fréquents dans l’usine, on n’y prête pas d’attention particulière.
23 h 30 - La fuite est localisée et le contrôleur est prévenu. Celui-ci décide qu’il s’en occupera à minuit et quart, après sa pause.
00 h 15 - La pression intérieure du réservoir 610 dépasse la limite admissible : elle atteint 30 psi et semble continuer à augmenter.
00 h 30 - La pression atteint 55 psi. Le contrôleur, bravant les instructions reçues de ne pas déranger inutilement son chef de service, se décide enfin à lui téléphoner pour le prévenir. Il sort ensuite pour aller observer l’état du réservoir, qui tremble et dégage de la chaleur. Le couvercle en béton du réservoir se fend, puis la valve de sécurité explose, laissant échapper un nuage mortel.
01 h 00 - Le chef de service arrive, constate rapidement les fuites de gaz toxiques du réservoir 610 et fait sonner l’alarme.
2 h 30 - On réussit à fermer la valve de sécurité du silo 610.
03 h 00 - Le directeur de l’usine arrive et donne l’ordre de prévenir la police...

6000 mort les premier jours., et des conséquences très lourdes jusqu’à nos jours.

[4L’explosion de la navette spatiale Challenger, est l’accident type dû une décision inadaptée liée au manque de sommeil : les responsables au sol n’avaient dormi que deux heures la nuit d’avant et étaient en fonction depuis une heure du matin le jour du lancement…

[5Le pétrolier Exxon Valdez avait longuement dévié de sa route parce les hommes n’avaient pas respecter leur besoin de sommeil (le pilote du bateau s’était endormis à son poste, ainsi que les agents en charge du trafic maritime).
Wikipédia précise "Il faudra attendre 1995 pour que la convention STCW 1995 mentionne que la période minimum de repos est de 10 heures par tranches de 24 heures (modulables). Par la suite, l’organisation internationale du travail (OIT) conjointement à l’OMI, publièrent un guide pour le développement de la gestion du travail à bord (IMO/ILO Guidelines on Seafarers’ Hours of Work or Rest)".